Vers une archéologie du pont

Après tous les travaux effectués autour des ponts actuels depuis un siècle et demi, on s'aperçoit qu'à chaque fois qu'une intervention est entreprise sur un ouvrage, il reste des vestiges archéologiques encore en place. On peut remarquer, mais peut-être est-ce dû à la méconnaissance du milieu aquatique par les services compétents en matière d'archéologie, qu'il n'y a que peu d'opérations archéologique prévue sur ces sites lors de consolidations de piles de pont par exemple. Il faudrait absolument, avant qu'il ne soit trop tard, que les Services Régionaux d'Archéologie soient avertis et donnent leur aval aux projets de réfection ou de consolidation. À l'heure actuelle, bien des vestiges de ponts se sont retrouvés détruits par les pelles mécaniques sans que personne ne puisse intervenir.

Cela dit, la méthodologie (non exhaustive) à appliquer lorsque l'on entreprend une intervention archéologique d'un pont devrait être la suivante :

 

En phase d'évaluation

- Les archives

Consulter l'ensemble des textes mis à disposition ainsi que les cartothèques (attention aux plans scénographiques qui ne sont pas toujours bien réalistes), les photothèques ...

- Les traditions orales

Pouvoir interroger la population locale, qui ne manque pas d'informations, généralement introuvables en archives (mais attention aux légendes).

- Géomorphologie

Il faut mener une étude en collaboration avec un géomorphologue afin de connaître les problèmes liés à la dynamique du cours d'eau. Étudier les variations aussi bien verticales que transversales (rythme des crues très important vis-à-vis des installations anthropiques). Connaître l'influence que l'homme a pu exercer sur la variation du cours d'eau.

 

Pendant la fouille

Hormis tout ce qui se pratique en archéologie terrestre, il faut mettre l'accent sur une exigence généralement oubliée, notamment au pont de la Guillotière à Lyon : ne pas oublier de donner le même numéro d'inventaire au bois et aux armatures lorsqu'on les sépare. Mais il faudrait essayer de garder un maximum de données en connexion, c'est-à-dire couper le pieu en gardant l'armature fixée à la pointe du pieu ainsi que l'ensemble de l'appointement du pieu et du départ de l'équarrissage, la coupe du pieu se faisant généralement à moins d'un mètre de la pointe de l'armature. Pour le marquage des pieux, on emploiera une étiquette en plastique numérotée et clouée sur le pieu. Il est aussi conseillé de doubler le marquage par un morceau de ruban solide numéroté entourant le pieu car, pendant le transport, une marque peut disparaître comme cela a été le cas lors de la fouille du pont de Verdun à Angers. Il faut réaliser un relevé et si possible un dessin de coupe des fondations. Il faudrait faire les prélèvements, les photographies et les dessins des pieux en place en facilitant ce travail par l'installation d'une prise d'eau pour nettoyer les pièces. Il est recommandé de prendre la section du pieu à l'endroit présentant la meilleure conservation.

Une étude architecturale, aussi bien de l'élévation visible que des fondations, peut permettre de mieux connaître l'outillage utilisé pendant les constructions des ponts et d'en étudier les matériaux (étude à réaliser pendant la fouille et la post-fouille). L'étude de ces matériaux, aussi bien la pierre que le bois, peut accroître notre connaissance de leurs contraintes d'une part et d'autre part de leurs provenances ouvrant des perspectives sur l'économie et les métiers en relation avec le pont aux différentes époques.

 

Pendant la post-fouille

À part la mise en relation des données archéologiques avec les données historiques, deux gros chapitres peuvent être abordés. 

Les analyses chrono-écologiques

- La palynologie

Elle peut apporter tout comme la dendrochronologie une connaissance du rythme climatique ainsi que de l'hydrodynamique du cours d'eau. Mais attention celà ne fonctionne que sur les sédiments piégés à l'intérieur d'un batardeau (par exemple).

- La dendrochronologie

C'est une source inestimable pour contribuer à la réalisation de l'étalon pour la région où se trouve le pont. Les datations apportent des éléments essentiels pour la bonne compréhension du site, car des vestiges de toutes sortes peuvent être présents au même endroit, sans que ceux-ci aient des relations chronologiques. Elles permettront de reconnaître éventuellement les reconstructions et les réfections de l'ouvrage. Il faudrait pour cela, essayer de déterminer des groupes écologiques. Un groupe écologique peut permettre de connaître la provenance des bois et éventuellement identifier les bois qui auraient pu être stockés avant d'être utilisés. Il permet aussi de mettre en évidence le choix des arbres d'abattage dans les forêts (localisation en lisière ou plutôt au cœur de la forêt venant d'une forêt exploitée ou non exploitée). La détermination des essences des pieux utilisés peut être mis en relation avec la fonction de l'élévation.

 

Les études métalliques

Les travaux à entreprendre sur le matériel métallique et surtout sur les armatures métalliques sont :

- Restauration

Il faut restaurer ou au moins entreprendre un premier nettoyage mécanique pour essayer d'apercevoir le mode de fabrication de l'armature. C'est en effet un point particulier de l'étude qui demande une certaine attention et ne peut se réaliser que si l'armature est dégagée de sa gangue de concrétion. Peut-être que ce travail peut se réaliser plus facilement à l'aide d'une radiographie (quelques tests ont été effectués mais sans grand résultat).

- Métallographie

Pour l'armature trouvée sur la commune de Vif (38), des analyses métallographiques ont été réalisées en 1996 à l'aide d'une microsonde électronique qui permet de livrer des données qualitatives et quantitatives. Ces analyses peuvent être très utiles quand l'étude dendrochronologique est rendue difficile par le fait d'un lot de bois hétérogène. L'analyse métallographique devient alors déterminante en permettant de dissocier des groupes d'armatures en fonction de caractéristiques communes reconnues pour chacun.

De nouvelles analyses métallographiques ont été réalisées en 2011 sur une armature provenant du radier général du pont de Pierre de Charlieu (42). Les méthodes ayant évoluées, elles permettent d'étudier la qualité de la matière et les états structuraux, de déterminer le mode de réduction et de donner la signature chimique.

 

 

En conclusion

Toutes ces analyses et études permettent de mieux comprendre l'archéologie d'un pont. Elles rendent plus faciles pour l'archéologue de localiser et de déterminer les fonctions des vestiges retrouvés là où l'ouvrage a subi les faits et méfait du temps passé.

En ce qui concerne la typologie des armatures métalliques, le choix dans une formule alphanumérique permet une classification aussi logique que possible et est évolutif. Beaucoup de choses restent encore à observer sur ces armatures.

Beaucoup de travaux restent à réaliser autour de ce sujet. Quasiment toutes les armatures sont encore dans l'état de leur découverte, remontant à une trentaine d'années pour certains, voire même plus pour d'autres. Il serait donc souhaitable de réaliser dans un premier temps, une radiographie de chaque armature pour connaître leur état sous leurs gangues de concrétions. Dans un deuxième temps, il faudrait les nettoyer afin de réaliser correctement l'étude interprétative concernant leur mode de fabrication.

La bibliographie étrangère a été laissée volontairement de côté car elle fera l'objet d'une future étude comparative dans les années à venir. Pour l'instant, cette étude réalisée en France reste fragmentaire, et nombreux sont les départements qui n'ont pas encore été prospectés.

Au travers de ce site internet, j'aimerais que tous les acteurs travaillant sur les ponts se fédèrent afin de créer un réseau pluridisciplinaire permettant d'avancer sur la recherche archéologique des ouvrages d'art en associant leurs travaux.

UN VASTE CHANTIER EN PERSPECTIVE....

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